Wegscheid - Classe 1926
Wegscheid
Juin 1944 : Des déserteurs alsaciens incorporés dans les SS sauvés par des Normands
En Alsace-Moselle, le drame de l’incorporation de force est connu, que ce soit dans la Wehrmacht ou dans les SS, dans ce dernier cas surtout pour les incorporés de la classe 1926. Un livre, récemment réédité dans le Limousin, voudrait d'ailleurs mettre en doute ce drame.
Ce qui est moins connu, c’est qu’en Normandie, des habitants ont, au péril de représailles, aidé des incorporés alsaciens-mosellans à déserter et à s’évader.
A Wegscheid, village de la haute vallée de la Doller, deux cas précis en font foi : ceux de Pierre Weiss et de Marcel Eich, qui nous ont été rapportés par Jean-Marie Ehret, président de la Société d’histoire de la vallée de Masevaux (SHVM).
En ce qui concerne Marcel Eich, les autorités de la 2ème division SS « Das Reich » ont envoyé fin juillet 1944 un courrier à ses parents qui dit : « Votre fils a disparu en compagnie de trois camarades à Village ès Hélène. S’il est repris, il sera traduit devant le tribunal militaire » (Patrimoine Doller N°20, le bulletin de la SHVM). Village ès Hélène est en fait un lieu-dit qui s’appelle « Les Hélaines » dans la commune de Notre-Dame de Cenilly (Manche), à une vingtaine de kilomètres de Saint-Lô.
C’est ce qu’à découvert Jean Bézard de Saint-Aubin-sur-Mer (Calvados), depuis longtemps intéressé par le drame des incorporés de force. Il a lu les bulletins Patrimoine Doller de la SHVM consacrés à l'incorporation de force (n° 19 et n° 20) et a recherché les incorporés cités dans ces deux ouvrages, qui ont combattu en Normandie. En vue de retracer les désertions de certains d’entre eux, il a enquêté dans la région pour essayer de retrouver trace de ces évènements et de leurs acteurs. Ainsi a-t-il retrouvé les protagonistes de la désertion de Marcel Eich et de Pierre Weiss. Par téléphone, M. Bézard a pu joindre Roger Hébert, âgé aujourd’hui de 82 ans (15 ans à l’époque) qui affirme : « C’est moi qui les ai fait déserter en leur indiquant la ferme d’André Lemarquier (lui aussi encore en vie et âgé de 97 ans». En juillet 1944, la ferme de la maman de Roger Hébert était occupée par les SS. Deux soldats lui ont dit qu’ils étaient des Français incorporés de force et qu’ils voulaient déserter. Le 17 juillet, le plan a été mis en œuvre et le jeune Roger a indiqué un itinéraire discret aux deux incorporés de force de Wegscheid, rejoints bientôt par quatre autres camarades (cet article permettra peut-être de les retrouver !), en vue de trouver refuge à la ferme d’André Lemarquier. Un jour de fenaison, celui-ci conduisit les cinq fuyards (l’un d’eux avait renoncé par peur des représailles) jusqu’à un bois voisin de 3 kilomètres, où ils seraient en sécurité. Avant de les quitter, André avait pris soin des déserteurs en leur fournissant un demi-jambon et des victuailles. Ceux-ci lui avaient remis un papier sur lequel étaient inscrits leurs identités, papier qu’André Lemarquier avait caché dans une haie pour qu’il échappe aux fouilles des soldats SS, qui ne manquèrent pas de dévaliser sa ferme de fond en comble. Notons que M. Bézard, au nom des incorporés de force, a rendu en novembre 2010 un demi-jambon à M. Lemarquier, geste très apprécié par le vieil homme.
Ayant réussi leur désertion de la SS, Marcel Eich et Pierre Weiss ont rejoint les forces française libres et se sont engagés pour la durée de la guerre. Ils sont rentrés en Alsace en automne 1945 et sont malheureusement décédés, Pierre Weiss en 1978 et Marcel Eich en 2005, sans avoir pu remercier les Normands qui, en facilitant leur désertion, leur avaient peut-être sauvé la vie.
Pierrot Rosenblieh - lundi 7 février 2011
De gauche à droite Roger Hébert Jean Bézard (Photo DNA)